Il résume bien pas mal de choses du monde du poker, en 2 pages. C'est "enfin" un bon article dans une presse généraliste je trouve.On le remarque à peine parmi les 935 joueurs réunis fin avril dans la salle des Etoiles, au Monte-Carlo Bay. Pourtant, un Sébastien Chabal en claquettes, tous muscles dehors, ça a de l'allure. Mais il est comme Boris Becker, l'ex-tennisman, ou Kool Shen, le rappeur de NTM, eux aussi présents : il passerait presque inaperçu avec, devant lui, sa petite pile de jetons qui fond à vue d'oeil. Les joueurs n'ont qu'une obsession ici, gagner les 2 millions d'euros promis au vainqueur de cette épreuve finale de l'European Poker Tour (EPT).
Le grand cirque du poker s'est arrêté à Paris du 13 au 17 mai, pour le Grand Prix organisé à l'Aviation Club de France. Là aussi, on aperçut des people plantés dans le décor, juste bons à être "plumés". Jamais aucun d'eux ne parvient jusqu'aux places payées - les 80 premiers gagnent de l'argent, en général -, à part, exception de taille, Patrick Bruel, qui a amassé plus de 700 000 euros de gains en quelques années de compétition.
A Monaco, donc, on ne parle que d'argent. Logique. Déjà, il faut payer 10 000 euros pour participer à l'événement, à moins d'être gracieusement convié par le site Pokerstars, par exemple, qui sponsorise le circuit et invite quelques personnalités pour pimenter le show. On pourrait gloser sur les masseuses à forte poitrine qui viennent dénouer les muscles des joueurs, mais à vrai dire, tout cela est très sérieux. C'est ainsi, le poker est à la mode, et il brasse des sommes folles.
En 2010, le gouvernement français va autoriser les sites de jeux en ligne, en délivrant des licences gratuites contre un strict cahier des charges, et le poker devrait se tailler des parts de marché enviables. Les sites accessibles en France, environ 25 000, dont 20 % en langue française, tous référencés à l'étranger (Gibraltar, Londres, Malte), sont pour l'heure parfaitement opaques, mais connaissent des croissances exponentielles ; Bercy estime à 2 milliards d'euros par an le total des mises placées, dont 75 % pour le poker. En toute illégalité.
Sur le marché français, tous les acteurs sont sur le pied de guerre. Les sites, certes, mais aussi les casinos, qui vivent mal la crise. " Aujourd'hui, on est des braves couillons, avec tous ces sites illégaux qui gagnent de l'argent, explique l'ex-député du RPR Georges Tranchant, patron du groupe Tranchant, 16 casinos en France. Pour 2010, on a un projet Internet déjà ficelé, on sera compétitifs sur le marché."
Disposer d'ores et déjà d'une écurie de joueurs emblématiques, c'est l'assurance de toucher le passionné. Du coup, ces temps-ci, les sites s'arrachent à coups de milliers d'euros les stars du poker, tel Bertrand Grospellier, alias "Elky", 28 ans. Le leader du circuit européen est sous contrat avec Pokerstars jusqu'en 2010. Comme Isabelle Mercier, une Québécoise sexy et futée. Lui est charismatique, blond peroxydé, le tee-shirt qui brille, et il joue aussi vite qu'il parle. A 100 à l'heure, agressif et mutique. Il a déjà accumulé plus de 4 millions d'euros de gains.
Ancienne gloire des jeux vidéo, il a connu les salles sud-coréennes surchauffées, où il était un demi-dieu, avant de succomber aux sirènes du poker. La gloire, donc, il connaît. Il s'agit de rentabiliser. "C'est pour cela que j'ai pris un manager, dit-il, je capitalise sur mon image. Cela va exploser en France, avec l'ouverture du marché Internet, donc, on essaie de démarcher de nouveaux sponsors."
Chez Winamax, autre site de poker en ligne, basé à Londres mais francophone, on l'aurait volontiers débauché. Mais un "Elky", cela vaut cher. Alors on joue la carte glamour et française, avec Alexia Portal, jeune et jolie comédienne, douée pour les cartes. Le contrat type d'un joueur de haut niveau est basique : on lui garantit plusieurs entrées dans les tournois par an, les déplacements, et en échange le compétiteur assure des prestations sur le site ou porte des vêtements siglés.
Avec "Elky", on entre dans une autre dimension, celle du business. Les chiffres ne sont pas les mêmes. "On aimerait bien avoir "Elky", chez nous, mais il vaut des millions", regrette Michel Abecassis, consultant pour Winamax. Mais le site a une carte majeure dans sa poche : Patrick Bruel. L'acteur-chanteur a su précéder le succès du jeu. Il anime une émission de poker sur Canal+ et, avec Michel Abecassis, un site communautaire, Wampoker, filiale discrète de Winamax où l'on ne joue pas d'argent en vertu de la législation française.
Patrick Bruel vient d'annoncer sa prise de participation dans le capital de Winamax, avec trois autres actionnaires, dont Marc Simoncini, le patron de Meetic. " Nous voulons devenir le plus gros site français, Patrick nous apporte son image et sa connaissance du jeu, je suis celui qui va lever des fonds", explique M. Simoncini. Qui se refuse à divulguer le chiffre d'affaires du site, fréquenté par 150 000 joueurs. Un gros budget marketing est déjà prévu. Il s'agit de communiquer vite et fort, dès que la licence française sera obtenue.
Aucun spécialiste ne se hasarde dans des prévisions chiffrées. Chacun sait simplement qu'il y a beaucoup d'argent à amasser. Les jeunes, en particulier, y sont très sensibles. "Plus de 80 % de nos joueurs ont moins de 25 ans, explique François Montmirel, cofondateur de l'Ecole française de poker (EFP). On leur apprend à gérer leur argent, à séparer les budgets. Il va y avoir un boom en 2010, avec la distribution des licences gratuites aux sites, d'où l'importance d'enseigner une pratique raisonnée. Ces sites font entre 50 % et 60 % de marge brute, ils n'auront aucun intérêt à ruiner les joueurs, leur but, c'est plutôt de les traire."
Aujourd'hui, nul besoin d'avoir 18 ans pour jouer de l'argent, il suffit de décliner un âge fictif, et l'on est admis sur n'importe quel portail. On perd, puis on gagne, on vit dans l'illusion du gros coup, on se dit qu'on peut devenir rapidement professionnel. C'est faux. Le poker obéit aux probabilités, à la logique mathématique. Il faut jouer un nombre important de mains - parties - avant de comprendre les subtilités de la stratégie. "Pour un jeune qui débute, c'est comme si tu confiais une Ferrari à un gamin qui vient de passer son permis, il ira droit dans le mur", dit Patrick Bruel, qui assure mettre en garde tous ceux qui regardent son émission.
Mais comment empêcher l'amateur en mal de sensations fortes de rêver ? Comment lui expliquer que le destin de Guillaume de La Gorce, comme celui de Tristan Clemençon, deux espoirs du poker français, est trop rare pour être promis à tous ? A Monte-Carlo, venu à ses frais, Tristan Clemençon, 19 ans, est reparti avec 20 000 euros. Déjà, Winamax lorgne sur ce jeune talent. "J'ai commencé à 17 ans sur le Net, raconte cet ancien étudiant en économie. Au début, cela inquiétait mes parents. Mais très vite, j'ai gagné de l'argent, 400 000 euros depuis le début de l'année."
Sur Internet, on peut jouer toute la nuit, se brûler les yeux, oublier ses amis, ses ennuis, et accumuler de l'expérience. C'est comme cela que Guillaume de La Gorce, alias "Johny" sur Internet, s'est créé une réputation. Et un compte en banque. A 28 ans, cet ancien élève d'une école d'ingénieurs a déjà gagné plus de 1 million d'euros. "Ça ne représente rien, cet argent", lâche-t-il froidement. Il vit à Londres, dans un appartement en colocation avec d'autres joueurs, écume les tournois, des Bahamas à Venise. Il rêvait de liberté, mais aussi, en bon élève doué pour les mathématiques, d'un jeu où il pourrait utiliser ses talents, "la concentration, la capacité d'analyse". Il dit que l'on peut, au poker, "derrière le brouillard du hasard, discerner une logique mathématique". Un bon joueur se juge sur le long terme, au-delà d'un simple tournoi. Lui recherche cette "progression linéaire". Tout en dissuadant son plus jeune frère de s'adonner aux joies du poker sur Internet. "Parce qu'on peut y perdre son temps, et pas uniquement de l'argent", admet-il.
Il ne devrait pas revenir s'installer en France. La future taxation de 2 % des mises envisagée par le gouvernement français lui semble un mauvais choix. "Nous, les gros joueurs, on demeurera dans l'illégalité, estime-t-il. En revanche, beaucoup de petits joueurs vont venir au poker." Avec un risque non négligeable d'addiction. A l'hôpital Marmottan à Paris, on voit de plus en plus de joueurs de poker en ligne venir se faire désintoxiquer. " Ces jeunes, des hommes pour la plupart, passent leur vie devant leur ordinateur, détaille le psychiatre Marc Valleur, responsable du centre. Certains d'entre eux ont même piqué la carte bancaire de leurs parents pour jouer. Quand ils viennent chez nous, ils sont déprimés. Il peut alors nous arriver de prescrire des antidépresseurs, ou de les hospitaliser chez nous. Nous sommes au début d'une vague, avec cette starisation des joueurs, et Patrick Bruel en locomotive..."
Peut-être faudrait-il, alors, s'inspirer de l'exemple de Kristof Mahen, un agent commercial de la SNCF âgé de 35 ans. Avec quelques amis, à Yerres (Essonne), il a monté un club où l'on joue tous les quinze jours, dans une vieille auberge. Il sait que le poker est un "miroir aux alouettes", mais que ce n'est pas "un jeu de voyous", que l'on peut " aussi ne pas tout cramer dans une partie". Dans son club, il y a des billets de banque partout, sur toutes les tables. Mais ils sont faux, fabriqués sur commande chez un imprimeur.
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Poker gagnant