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Les sex-toys sont-ils pornographiques ?LEMONDE.FR | 08.02.12 | 18h09 • Mis à jour le 09.02.12 | 09h56
La vitrine de l'enseigne "1969 curiosités désirables" située 69 rue saint-Martin à Paris.AFP/PIERRE VERDY
Erotique ou pornographique ? Ce pourrait être le procès des œuvres du marquis de Sade, accessibles aux mineurs depuis vingt ans, mais c'est celui de Nicolas Busnel, 41 ans. Gérant de l'enseigne "1969, Curiosités désirables", un "love-shop" situé dans le 4e arrondissement à Paris, il était poursuivi mercredi 8 février devant la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris par la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) et l'association CLER Amour et Famille.
Se fondant sur la loi de protection de l'enfance de 1987, modifiée en 2007, qui interdit à la vente "les objets à caractère pornographique" à moins de 200 mètres d'un "établissement d'enseignement", les associations considèrent comme une infraction la vente de sex-toys à 90 mètres de l'école-collège Saint-Merri. Elles réclament 10 000 euros chacune de dommages et intérêts résultant de "l'atteinte à leur statut". M. Busnel risque quant à lui deux ans de prison et 30 000 euros d'amende.
Avant de s'attaquer au fond, les magistrats ont d'abord rejeté la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Richard Malka, l'avocat de M. Busnel, qui considérait que la loi de 2007 constituait une "atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre", tous les sex-shops de France se trouvant à moins de 200 mètres d'un établissement d'enseignement, définition qui comprend "aussi bien la Sorbonne que l'Ecole nationale de la magistrature à Bordeaux", selon lui. Ils ont ensuite jugé irrecevable la poursuite engagée par la CNAFC en raison de son objet social, qui ne stipule pas que l'association a pour mission la protection de l'enfance.
"LE SIMULATEUR DE FELLATION, C'EST DE LA PURE MÉCANIQUE"
Trois témoins, tous cités par la défense, se sont succédé à la barre. La responsable de la boutique a d'abord insisté sur les règles internes du magasin et les vérifications d'identité qui sont effectuées dès lors que les vendeurs ont un doute sur l'âge d'un client. "Deux panneaux indiquent que l'entrée est interdite aux mineurs", a-t-elle dit, ajoutant que les sex-toys "qui ne sont pas en vitrine" sont avant tout "érotiques et ludiques".
Thérèse Clerc, militante féministe historique, est venue insister sur l'importance des sex-toys chez les personnes âgées, "un remède contre la solitude", tout en notant qu'aujourd'hui "nos gosses en savent bien plus que nous avec Internet". En outre, elle a indiqué s'être rendue au "love-shop" et ne pas avoir trouvé "une boutique flamboyante faite pour attirer le chaland". Pour le sexologue Yves Feroul, qui s'est lancé dans une petite histoire des sex-toys, ceux-ci constituent "plus un jeu pour l'imagination".
Le conseil de CLER Amour et Famille, Henri de Beauregard, a dénoncé "la caricature et le barnum médiatique soigneusement organisé", déplorant qu'on présente ses clients comme des "censeurs". "On vient nous dire que l'adjectif 'pornographique' n'a pas été défini par le législateur, mais c'est une tartufferie. On aurait dit : est pornographique ce qui est obscène et lubrique. La défense aurait alors plaidé : 'mais on n'a pas défini le terme lubrique'", a-t-il souligné, faussement candide.
Selon lui, les travaux parlementaires comme la jurisprudence permettent de définir ce qui est pornographique : "Il s'agit de ce qui prive les rites de l'amour de tout contexte sentimental et de relation à l'autre avec une focalisation sur les mécanismes physiologiques", explique-t-il, indiquant à la cour que par exemple le simulateur de fellation "Deepthroat" (gorge profonde) vendu par l'enseigne relève de la "pure mécanique". "On peut dire d'un sex-shop qu'il est un love-shop, d'un godemiché qu'il est un sex-toy, d'un simulateur de fellation qu'il est un objet de plaisir gourmand, mais ce ne sont que des mots, la vérité c'est qu'on a un sex-shop qui vend des objets pornographiques."
"IL N'Y A PAS LE VICE D'UN CÔTÉ ET LA VERTU DE L'AUTRE"
De l'autre côté de la barre, Richard Malka a ironisé sur l'absence des parties civiles à l'audience, alors qu'à les croire, "la moralité du pays est en danger". "Nous sommes dans une action idéologique", a expliqué le défenseur du "love-shop". "Il n'y a pas le vice d'un côté et la vertu de l'autre, comme il n'y a pas les anciens et les modernes." Selon lui, la définition de la pornographie faite par ces associations condamne en filigrane la masturbation. "C'est d'ailleurs le programme de CLER Amour et Famille qui explique sur son site Internet que c'est 'une faute incontestable si c'est une masturbation préméditée'".
"Est-ce que c'est vraiment choquant ?", a-t-il interrogé, en montrant une banane en plastique violet vendue par son client. "Pourquoi ne pas interdire les fruits et légumes à 200 mètres de tous les établissements ?". "Il est impossible de dire ce qui est pornographique ou pas", car "il y a autant de définitions que d'individus." "La société actuelle a accepté ces objets, a-t-il tenté de démontrer en énumérant les pages de magazines généralistes vantant les mérites des sex-toys. Il existe même des sex-toys casher et hallal !"
Pour finir, le prévenu a tenté une dernière fois de défendre son affaire. "Saviez-vous que les boules de geisha sont remboursées par la sécurité sociale en Belgique ?" "Oui, mais ici on est en France", a répondu la présidente, cassante.
Contactée par Le Monde.fr, l'école Saint-Merri, dont les élèves ont finalement été assez peu évoqués au cours des débats, a tenu à préciser par la voix de sa directrice, Mme Tanguy, que l'"établissement, bien que soucieux de toutes les dimensions de l'éducation des jeunes qui [lui] sont confiés, est étranger à cette démarche".
Délibéré le 29 février.
Simon Piel